La Liberté

Jugé pour viol, Tariq Ramadan a été acquitté

La justice genevoise a reconnu l’islamologue non coupable du viol dont il était accusé. Recours en vue

Louis Viladent, Le Courrier

Publié le 24.05.2023

Temps de lecture estimé : 9 minutes

Procès à Genève » L’heure du verdict a sonné pour Tariq Ramadan. Mercredi, après trois longues journées de procès pour viol et contrainte sexuelle qui ont eu lieu la semaine dernière, le Tribunal correctionnel genevois l’a acquitté de tous les chefs d’accusation. Dans son jugement, le président du tribunal, Yves Maurer-Cecchini, a fait valoir «l’absence d’éléments matériels, la pauvreté des témoignages et les constats contradictoires des psychiatres à la suite des événements».

Une décision contre laquelle les avocats de celle que les médias ont appelée «Brigitte», la plaignante, ont d’emblée indiqué qu’ils feraient recours. «Notre cliente n’a été ni entendue ni respectée», a regretté François Zimmeray, qui l’a défendue, aux côtés de Robert Assaël et de Catalina de la Sota. L’avocate de Tariq Ramadan, Yaël Hayat, a quant à elle salué un jugement «éclairé et inspiré de raison».

Parole contre parole

Dans sa lecture du verdict, le juge a d’abord concédé que les déclarations de la plaignante étaient «relativement détaillées et constantes». S’il a retenu «quelques imprécisions et divergences», celles-ci n’ont toutefois «pas eu de conséquences aux yeux du tribunal». Et pour cause, une limpidité indéfectible «aurait laissé croire à un récit appris par cœur». Il en allait de même pour le récit du prévenu, lui aussi jugé «constant et détaillé».

C’était donc parole contre parole, mais dans le doute, le juge s’en est remis à l’absence de preuves matérielles: «Il n’y avait aucune trace de sperme ni de sang sur les extensions capillaires que portait la victime ce soir-là, aucun constat de lésions traumatiques ou de certificat médical, et pas non plus d’images de vidéosurveillance.»

Seuls auraient pu aider les quelques témoignages indirects recueillis au cours de la procédure, mais ceux-là non plus n’ont pas été jugés probants. «Certaines personnes ont échangé avec la plaignante le lendemain des faits, d’autres dix ans après, ce qui pose des problèmes de précision.»

Et le juge d’ajouter que l’importante médiatisation de l’affaire depuis quelques années et les échanges continus entre les différentes plaignantes – «Brigitte» et les quatre femmes qui accusent l’islamologue de viol en France – «a rajouté des risques de confusion» dans les témoignages.

Autre élément contradictoire du dossier, les trois rapports psychiatriques fournis au Ministère public. Le premier spécialiste, que «Brigitte» a consulté une semaine après les faits, «rapporte un consentement ébahi, où elle n’a pas osé dire non», rappelle le juge. Et celui qu’elle a consulté un mois plus tard «ne rapporte pas de pénétration ou de viol, mais une emprise perverse». Enfin, le troisième rapport, même s’il admet un stress post-traumatique, ne fait état d’aucune emprise.

Conclusion du juge: «Il n’y a aucun doute que la plaignante a mal vécu sa soirée et que le prévenu est lui aussi entré dans le jeu de la séduction, mais la détresse (de la plaignante, ndlr), même si elle est crédible, ne l’est pas davantage que la version du prévenu». Cette version-là qui veut que l’amour de «Brigitte» pour M. Ramadan ait simplement été éconduit. Et d’ajouter qu’il paraît «difficilement soutenable» qu’il ait été son bourreau alors qu’elle a cherché à maintenir le contact après les faits.

Des messages à décharge

Sur ce dernier point, le juge se réfère aux nombreux messages que la plaignante a envoyés au prévenu après la nuit de leur rencontre. Des messages qui «n’évoquent jamais une demande d’explication sur un viol, ou des reproches sur la nuit». Au contraire, «ils montrent qu’elle était pétrie d’admiration». Ce qui expliquerait, selon le juge là encore, qu’elle ait écrit deux heures après avoir quitté Tariq Ramadan, «qu’il était un homme merveilleux et qu’elle voulait l’embrasser». Au bénéfice du doute là encore, Tariq Ramadan s’est vu disculpé.

Ces conclusions n’ont pas manqué de faire réagir François Zimmeray, quelques minutes à peine après l’audience: «Le bénéfice du doute est une chose, mais reprendre de manière aussi caricaturale les arguments fabriqués par la défense, c’était quelque chose de difficile à entendre pour ma cliente.» Raison pour laquelle d’ailleurs, cette dernière a quitté la salle avant même la fin de l’énoncé du verdict.

Pas un «traquenard»

Enfin, le juge a balayé la thèse du «traquenard», avancée à maintes reprises par la défense. «Le dossier ne permet pas d’établir que la plaignante aurait tendu un traquenard dans le but d’humilier M. Ramadan.» Il admet toutefois qu’après les faits, «Brigitte» a «échangé avec des personnes qui lui étaient hostiles», notamment avec des journalistes idéologiquement opposés à M. Ramadan.

De quoi permettre à Yaël Hayat de revenir à la charge: «Ceux qui dévoient et qui détournent les prétoires pour servir d’autres ambitions, rendront peut-être un jour des comptes devant le tribunal de la conscience.»

A la sortie du Palais de justice, Tariq Ramadan a pour sa part opté pour le no comment. Il recevra de l’Etat de Genève une indemnisation de 151’ 000 francs pour ses frais d’avocats. Il s’agit pour lui d’une étape dans un parcours juridique encore long (lire ci-dessous). Le Courrier

 

En France, un procès en vue

L’acquittement de Tariq Ramadan ne va pas peser sur le procès qui devrait se tenir l’an prochain en France, estime l’avocat d’une plaignante.

Acquitté mercredi dans ce premier procès pour viol, Tariq Ramadan est loin d’en avoir fini avec les tribunaux. Non seulement il devrait revenir en prolongation à Genève, la défense ayant annoncé vouloir faire appel, mais il reste mis en examen en France à la suite de plaintes similaires.

En juillet 2022, le Parquet de Paris a requis le renvoi de l’islamologue suisse de 60 ans devant la Cour d’assises au sujet de viols présumés commis entre 2009 et 2016 sur quatre femmes. «Les juges d’instruction français vont prochainement rendre leur décision sur un renvoi ou non», souligne Nathanaël Majster, avocat d’une des plaignantes, à Paris. «Mais il y aura une procédure devant la Chambre de l’instruction, car ses avocats feront appel de cette ordonnance.»

Un réflexe destiné à ralentir la procédure, s’exaspère l’homme de loi: «Ils savent que le temps joue pour lui. C’est pourquoi ils ont surchargé la justice française avec des demandes en nullité variées.» Dernière démonstration en date: la contestation le 23 mars dernier de la validité des expertises psychiatriques cruciales pour examiner la notion d’emprise, au cœur du dossier. La Cour d’appel de Paris les a finalement validées il y a deux semaines.

Pour Nathanaël Majster, le procès en France pour viols se précise. «Il devrait se tenir au premier semestre 2024», est-il convaincu. «Dans les trois mois à venir, un calendrier précis pourra être établi.»

L’homme de loi reste confiant quant aux chances de succès des plaignantes, malgré le verdict à Genève. «Cet acquittement ne pèsera pas sur ce procès», insiste-t-il. «C’est une décision locale qui restera locale. Le dossier a sa spécificité et la justice française ne fonctionne pas de la même façon.» Comment les avocats français de Tariq Ramadan vont-ils capitaliser sur cet acquittement? Contactés, ils n’ont pas répondu aux sollicitations de La Liberté.

Aux yeux d’un juriste français proche du dossier, ce premier verdict n’augure toutefois rien de bon pour l’accusation. «La personnalité des plaignantes, qui sont très instables, joue en leur défaveur.» Le Parquet a requis un procès en assises pour soupçons de viol à l’égard de trois plaignantes (une ex-salafiste devenue militante laïque, une femme surnommée «Christelle» et une ex-escort girl) et de viol sur personne vulnérable à l’égard d’une quatrième femme qui avait retiré sa plainte en 2021. «Ma cliente n’est ni fragile ni instable», assure Nathanaël Majster, avocat de la première. «C’est une personnalité remarquable, forte et d’une grande intelligence. Elle saura parfaitement répondre aux attaques au-dessous de la ceinture des avocats de Tariq Ramadan.» Thierry Jacolet

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